samedi 28 février 2009

Elisabetta Canori Mora


C'est le 21 novembre 1774 qu'Elisabetta vient au monde. Ses parents possèdent une propriété près de Rome (Italie). Elle est la treizième d'une famille de quatorze enfants, dont six sont déjà morts en bas âge. C'est au sein de cette grande famille qu'elle reçoit sa première éducation. (...)

Dans ce foyer profondément chrétien, attentif à l'éducation des enfants, Elisabetta est heureuse et trouve un parfait équilibre. En 1796, elle épouse un jeune avocat, Cristoforo Mora, le fils d'un médecin riche et estimé. Elisabetta s'est préparée avec soin à cet engagement et a suivi pour cela une retraite spirituelle. (...)

Elisabetta a le désir de fonder avec son époux une famille vraiment chrétienne. Elle sait que par l'engagement solennel pris devant Dieu et devant l'Église, tous deux vont se promettre de «rester fidèles dans le bonheur et dans l'épreuve, dans la maladie et la bonne santé, pour s'aimer et se respecter tous les jours de leur vie» (cf. Rituel). Pour mettre en évidence les éléments essentiels qui constituent le bien commun des époux (l'amour, le respect, la fidélité jusqu'à la mort), l'Église, au cours de la cérémonie, leur demande s'ils sont disposés à accueillir et à élever chrétiennement les enfants que Dieu voudra leur donner.(...). Habituellement, l'union des époux perdure et se consolide grâce à la naissance et à l'éducation des enfants, qui sont le plus beau fruit de leur amour conjugal.

AMOUR BLESSÉ

Les premiers temps du mariage sont très heureux. Mais bientôt, la vie commune se trouve compromise par la fragilité psychologique de Cristoforo. D'abord ce sont des accès de jalousie inexplicables, puis le jeune avocat s'éprend d'une autre femme et trompe son épouse. Blessée profondément dans son amour, Elisabetta ne fait cependant aucun reproche à son mari. Elle continue à lui manifester toute sa tendresse, espérant le conquérir de nouveau. L'épreuve est d'autant plus pénible qu'elle a perdu coup sur coup deux enfants, morts peu après la naissance.

À la fin de l'année 1799, elle met au monde une petite fille, Marianna, pleine de vitalité. Hélas, la situation du foyer se dégrade: l'avocat se désintéresse de son étude et s'adonne à des spéculations irréfléchies qui le conduisent bientôt à la faillite. Elisabetta n'hésite pas: elle vend tous ses bijoux pour payer les dettes de son époux, sans toutefois y parvenir tant elles sont considérables. Loin de lui en être reconnaissant, Cristoforo, humilié de ses échecs, devient grossier et de plus en plus ombrageux. Francesco et Agatha Mora, ses parents, lui suggèrent, pour des raisons d'économie, de quitter le bel appartement où il est installé depuis son mariage, et de venir avec Elisabetta habiter chez eux. Ce déménagement constitue pour celle-ci une nouvelle épreuve, car elle perd l'intimité de sa vie conjugale et familiale. La jeune femme accepte cependant volontiers ce sacrifice pour la conversion de son mari infidèle.

Le péché d'adultère est en effet un désordre grave. Le Catéchisme de l'Église Catholique l'a rappelé en ces termes: «Le mot "adultère" désigne l'infidélité conjugale. L'adultère est une injustice. Celui qui le commet manque à ses engagements. Il blesse le signe de l'alliance qu'est le lien matrimonial, lèse le droit de l'autre conjoint et porte atteinte à l'institution du mariage, en violant le contrat qui le fonde. Il compromet le bien de la génération humaine et des enfants, qui ont besoin de l'union stable des parents» (CEC, 2380-2381). Elisabetta sait surtout que celui qui se rend coupable du péché d'adultère ne peut hériter du Royaume de Dieu (cf. 1 Co 6, 9; Mt 19, 18). Son amour pour Cristoforo, fondé sur la foi et la charité surnaturelles, lui fait craindre pour le salut éternel de son époux. Aussi multiplie-t-elle les sacrifices et les prières. Sa confiance en Dieu et sa persévérance dans la prière ne seront pas déçues.

En juillet 1801, une quatrième grossesse vient adoucir la vie éprouvée de cette femme admirable. Mais peu après l'accouchement, une maladie terrasse la maman et la conduit à l'agonie. Humainement, Elisabetta est condamnée. Toutefois, une guérison miraculeuse, comme elle l'avouera elle-même, lui rend la santé. Cette maladie est l'occasion d'un progrès spirituel important. Sa vie d'union à Dieu et sa pratique religieuse s'intensifient; la confession et la communion fréquentes deviennent les deux pôles de sa vie spirituelle. En 1804, sous l'inspiration de Dieu, elle prend trois résolutions:

1) pratiquer la douceur, la patience, et ne jamais se fâcher;

2) accomplir en tout la volonté de Dieu;

3) s'exercer aux vertus de mortification et de pénitence.

Elle puisera dans cette vie spirituelle intense la force de supporter sa situation familiale difficile. Car des humiliations cuisantes continuent à pleuvoir sur elle. Ses belles-soeurs, dont elle aurait pu attendre affection et soutien, la rendent responsable des échecs financiers de Cristoforo, et lui reprochent d'être la cause de son adultère: «Avec une femme différente, disent-elles, Cristoforo serait différent!» Suivant l'exemple de Jésus, Elisabetta répond à tout par la douceur, la patience et le pardon. Mais l'épreuve la plus douloureuse vient des pressions physiques et psychologiques de son époux et de sa belle-famille pour lui arracher un consentement inadmissible: «Ce lion furieux (Cristoforo l'avait menacée d'un couteau) voulait à tout prix la permission écrite de fréquenter son amie, lit-on dans son journal. Il est bon pour moi d'avoir passé deux heures en prière! Dieu me communiqua tant de force que j'étais prête à donner ma vie plutôt que d'offenser mon Seigneur».

POUR LA VIE

Elisabetta ne peut, sans pécher gravement, consentir à l'adultère de Cristoforo, même pour sauver la situation et se réconcilier avec lui. Il n'est jamais permis de faire un mal même en vue d'un bien (cf. Rm 3, 8). Le lien matrimonial est établi par Dieu Lui-même, de sorte que le mariage conclu et consommé entre baptisés ne peut jamais être dissous.

(...)

«Le don du sacrement est pour les époux chrétiens une vocation - en même temps qu'un commandement - à rester fidèles pour toujours, par-delà les épreuves et les difficultés, dans une généreuse obéissance à la volonté du Seigneur: Ce que Dieu a uni, l'homme ne doit pas le séparer (Mt 19, 6). De nos jours, témoigner de la valeur inestimable de l'indissolubilité du mariage et de la fidélité conjugale est, pour les époux chrétiens, un des devoirs les plus importants et les plus pressants» (FC, 20).

Forte de sa foi en l'enseignement évangélique, Elisabetta résiste donc courageusement aux menaces qui lui sont faites. Elle est par ailleurs convaincue que si la réconciliation avec son mari a lieu un jour, celle-ci sera le fruit de sa fidélité à la loi divine.

TÉMOIGNAGE IRREMPLAÇABLE

Avec la mort du docteur Francesco Mora, qui survient en 1812, Elisabetta perd son dernier appui. Ses belles-soeurs lui font alors comprendre qu'avec ses deux filles, elle constitue une charge pour la famille. Il lui faut donc se procurer un appartement dans Rome. Avec ce déménagement, une période plus paisible s'ouvre devant elle, malgré une extrême pauvreté. Elle en profite pour suivre plus attentivement l'éducation de ses filles, qu'elle a toujours considérée comme l'une de ses tâches principales. Son premier soin est de leur donner une formation spirituelle sérieuse. Sa maisonnée devient une heureuse "Église domestique", où le Seigneur est aimé, où il fait bon vivre. (...)


« TU REVIENDRAS À DIEU... »

Oublieuse d'elle-même, rayonnant de plus en plus l'amour de la Très Sainte Trinité à qui elle s'était consacrée en entrant dans le Tiers-Ordre Trinitaire, Elisabetta fait de sa maison le rendez-vous de toutes les personnes qui cherchent un soulagement matériel ou spirituel, réservant une attention particulière aux familles en difficulté. Son âme, purifiée par l'épreuve, est mûre pour le Ciel. À Noël 1824, un oedème, qui l'a déjà frappée quelques mois plus tôt, se manifeste de nouveau. Elisabetta déclare à ses filles que ce sera sa dernière maladie. Elle a la joie de voir son mari reprendre sa place à la maison et passer de longues heures à son chevet. La malade ne lui fait aucun reproche concernant le triste passé dont elle a tant souffert. Au contraire, en épouse aimante, elle l'encourage et prophétise son retour à Dieu: «Tu reviendras à Dieu après ma mort, lui dit-elle, tu reviendras à Dieu pour rendre gloire».

Au soir du 5 février 1825, Elisabetta, entourée de ses filles, s'éteint doucement avec la joyeuse expression de quelqu'un qui part rejoindre un être cher. Cristoforo, comme à son habitude, rentra à l'aube. Surpris de trouver la porte ouverte, il se précipite dans la chambre de son épouse, qu'il trouve étendue sans vie. En présence de cette femme qui lui était restée fidèle jusqu'au bout, il est pris d'un violent remords de toute une vie de négligence, d'ingratitude et d'infidélité, et laisse libre court à ses larmes. Ces larmes purificatrices sont le prélude de la conversion qu'Elisabetta a prédite. En 1834, il entre chez les Frères Mineurs Conventuels et sera même ordonné prêtre. Il meurt saintement le 8 septembre 1845, jour de la Nativité de Notre-Dame, une fête particulièrement chère à son épouse.

L'exemple d'Elisabetta est un encouragement puissant pour les foyers en difficulté. Il rappelle «qu'on ne doit jamais désespérer de la miséricorde de Dieu» (Règle de saint Benoît, chap. 4), et témoigne de la fidélité du Seigneur "Auteur et Gardien du mariage" qui, dans les situations les plus difficiles, donne à chacun la grâce dont il a besoin. Quant aux familles vivant dans la concorde, elles sont invitées à rendre grâces à Dieu pour le don de la paix (un des fruits de la dévotion au Sacré-Coeur). Ce don, précieux entre tous, a besoin pour durer et grandir du pardon mutuel et de la prière. La patience surtout, qui est l'expression et le soutien de l'amour, est au centre de toute relation humaine durable. L'Amour est patient, assure saint Paul (1 Co 13, 4).

Dom Antoine Marie osb, abbé
Extraits de la lettre du 28 mars 97 avec l'autorisation de l'Abbaye Saint Joseph de Clairval.

http://www.clairval.com/


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